Comme chaque année, nous allons faire un tour du côté des Antilles françaises. Avec cette année, une grosse pensée pour nos amis guadeloupéens et martiniquais, dont les îles sont ravagées par le Covid. Et pour commencer, impossible de ne pas évoquer la disparition d’un géant de la musique antillaise, Monsieur Jacob Desvarieux. Bon voyage, Jacob, tu vas nous manquer.
Jacob F. Desvarieux – Jacob F. Desvarieux (GD Production) (1983)
Avant de participer à la création de Kassav’ avec Pierre-Édouard Decimus et Freddy Marshall, Jacob était un arrangeur reconnu notamment dans la musique africaine, voir disco. Il a travaillé sur de nombreux projets, notamment avec l’équipe du Studio Johanna. C’est pour ses talents d’arrangeurs et la qualité de sa production qu’il a été contacté par Freddy et Pierre-Édouard, pour les aider à « moderniser » la musique antillaise. C’est le tour de force qu’il va réussir avec la création du zouk par Kassav’. Des années avant la stratégie du Wu Tang, les musiciens du collectif Kassav’ vont, successivement, tous sortir des albums sous leurs noms respectifs (Patrick Saint-Eloi, Georges Decimus, Jean-Claude Naimro, Jocelyne Beroard…) avec toujours les mêmes musiciens et les arrangements / productions de Jacob Desvarieux. On connait le résultat, ce sera le succès mondial de Kassav’ et du phénomène zouk.
Pour revenir, à ce premier album solo de Jacob, on retrouve toute l’équipe Kassav’ aux instruments et la production de Jacob se fait ici plus digitale. On jurerait un album de Kassav’ mais c’est bien la voix chaude et rauque de Jacob Desvarieux qui est derrière le micro. On se régale aussi avec son jeu de guitare comme sur le délicieux « Sweet Florence », morceau bien connu des amateurs de son « Digital Zandoli » et Tropical. Jacob sortira deux ans plus tard un autre album, tout aussi bon sous son nom : Oh Madiana.
Joby Valente – Flash Back (GD Production) (1983)
On ne retrouve pas l’équipe Kassav que sur leurs albums respectifs. D’autres artistes vont bénéficier de leur science du rythme et de la musique. C’est le cas de la chanteuse martiniquaise Joby Valente, qui n’a pas sorti beaucoup de disques malgré le succès d’un de ses premiers singles « Disk la rayé » en 1969 et sa longue carrière, qui continue encore aujourd’hui !
Sur cet album, qui est jusque là passé sous les radars de la plupart des DJs et collectionneur de son antillais, on retrouve Jean-Claude Naimro et Jacob Desvarieux à la production et les grands noms de la musique antillaise des 80s : Claude Vamur à la batterie, Michel Alibo à la basse, Jocelyne Berouard aux choeurs… Le résultat est un album très dansant avec au moins trois tracks pour la piste de danse : une nouvelle version de l’hymne de Joby « Disque la rayé », le fameux « J’aime les bourgeois » (sic.) et une version modernisée d’une biguine de Eugène Mona « Mi moin mi ou ».
Vous pouvez d’ailleurs retrouver ce titre sur la dernière compilation de Guts Straight from the decks vol.2 ainsi que sur les ondes de Radio Nova. Il est à noter que Joby est l’une des rares chanteuses antillaises à avoir eu une carrière aussi longue, ce milieu étant plutôt macho et réservé aux hommes. C’est sans doute dû à son caractère bien trempé. Bravo Joby !
Joby Bernabé – Joby Bernabé (GD Production) (1985)
On enchaine avec un autre Joby, un homme cette fois, à la voix grave et sauvage et au propos acerbe. Un disque hors format comme je les aime. J’ai mis de longues années à le trouver, donc je suis heureux de le partager avec vous.
Homme de lettre et engagé, le Martiniquais Joby Bernabé a quitté Fort-de-France pour aller étudier à Montpellier avant un séjour initiatique de deux ans en Afrique à la fin des années 60. À la demande de Aimé Césaire, il rentre ensuite en Martinique avec une troupe de théâtre militante. On retrouve ce militantisme dans ce deuxième album sous son nom, sorti en 1985 et pour lequel on peut parler de « Spoken word creole ». Le morceau de bravoure du LP est « La logique du pourrissement », une longue plage de poésie incandescente déclamée sur un instrumental Jazz Funk, où l’on retrouve les claviers de Mario Canonge et un saxophone très libre. On n’est pas loin du « Comme à la radio » de Brigitte Fontaine mais en version créole 80’s. Cette logique du pourrissement évoque la situation des différents territoires d’outre-mer et leurs relations compliquées avec la métropole et son gouvernement. Le reste de l’album se tient très bien, avec la poésie de Joby se mêlant à des instrumentaux composés uniquement soit de Flute (par Max Cilla) et contrebasse (« Tout ko sé ko »), de percussions traditionnelles et Guitare (« zandoli ») ou même uniquement de voix (l’envoutant « kitan »).
Et comme souvent pour ce genre de disques, la pochette sort du commun, avec cette sculpture qu’on pourrait croire venue de Grèce antique, si ce n’était les yeux bleus peints et la fumée s’élevant derrière… Sans doute pour annoncer le contenu sulfureux de l’album.
Retrouvez toute la musique de Franck Descollonges dans nos playlists sur Deezer et Spotify
Petite nouveauté, chaque semaine je demande à un artiste ou un proche de Heavenly Sweetness, de parler d’un vinyle qu’il affectionne. Pour nous parler de musique antillaise, un invité de choix cette semaine : David Walters !
Max Cilla – La flûte des Mornes – volume 1 (1988)
L’homme qui fait rayonner son « Soleil kréyol » dans nos oreilles. Il a choisi un disque que j’aime beaucoup et que je lui ai offert : La flûte des mornes – volume 1 de Max Cilla. Ça tombe bien, Max joue sur l’album dont on vient de parler.
« Cet album me ramène à la terre et aux horizons caraïbéens avec les flûtes de Max Cilla. J’ai du mal à l’exprimer mais quand je mets cet album c’est forcément au moins trois ou quatre fois d’affilé, c’est un refuge ! Il y a dans cette musique quelque chose de magique et d’authentique qui m’enveloppe, m’apaise et me ressource… »